Avec plus d’un milliard d’utilisateurs dont un quart en Europe, la plateforme populaire de vidéos courtes et virales TikTok, est dans le viseur des Occidentaux. Plusieurs gouvernements et institutions prennent successivement des mesures pour interdire à leurs employés l’utilisation de l’application détenue par l’entreprise chinoise ByteDance. Les Etats et institutions occidentaux craignent notamment que le régime chinois puisse accéder aux données des utilisateurs.
L’Inde a été le premier pays à interdire TikTok en juin 2020, évoquant des préoccupations liées à la sécurité nationale et à la confidentialité des données.
Les Etats-Unis ont fait un pas significatif vers une interdiction de l’application via un projet de loi baptisé « Restrict act » qui confère au ministre du Commerce de nouveaux pouvoirs pour interdire cette application. Une autre loi ratifiée par le président Joe Biden, début janvier, interdit le téléchargement et l’utilisation de TikTok sur les appareils des fonctionnaires de l’Etat fédéral américain. Une vingtaine d’Etats américains ont pris une mesure similaire pour leurs propres employés.
La Commission européenne a suivi Washington en interdisant à partir du 15 mars l’usage de l’application sur les appareils professionnels de ses employés. Le gouvernement canadien et le parlement danois ont aussi participé au mouvement en bannissant TikTok des appareils mobiles de leurs personnels.
Le 1er mars, les autorités turques ont infligé à TikTok une amende d’un montant total de 93 000 dollars pour n’avoir pas pris de mesures suffisantes pour protéger les utilisateurs contre le traitement illégal de leurs données.
Des accusations d’espionnage
« Cheval de Troie moderne du Parti communiste chinois » : c’est en ces termes que qualifiait l’application Michael McCaul, président de la commission des Affaires étrangères de la chambre basse du Congrès américain.
Si la Commission européenne a déclaré interdire l’application pour « protéger » l’institution « contre les cybermenaces », le gouvernement canadien a évoqué » un niveau de risque inacceptable » pour la vie privée et la sécurité. Le Parlement danois a pour sa part parlé d’un « risque d’espionnage ».
« Théâtre politique » selon TikTok
TikTok a estimé que ces interdictions relevaient du « théâtre politique », et regretté que « cette approche soit copiée par d’autres gouvernements dans le monde », d’après un porte-parole de l’application.
Le gouvernement américain « a trop étendu le concept de sécurité nationale et abusé du pouvoir de l’État pour réprimer les entreprises d’autres pays », a déclaré Mao Ning, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
L’entreprise a pris des mesures pour répondre aux inquiétudes concernant la protection de la vie privée en stockant les données sur des serveurs aux États-Unis pour permettre à des experts extérieurs d’examiner ses politiques et ses pratiques.
Cependant, TikTok avait reconnu en novembre que certains employés en Chine pouvaient accéder aux données d’utilisateurs européens, et avait admis en décembre que des employés avaient utilisé ces données pour traquer des journalistes. Mais le groupe nie tout accès du gouvernement chinois à ses données.
Tiktok au coeur d’une guerre d’influence
Si l’interdiction de TikTok reflète les préoccupations concernant la protection de la vie privée, la sécurité nationale ainsi que le maintien de la liberté d’expression, les enjeux ne s’arrêtent pas là.
À l’heure où la Chine se rapproche de la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine, que les relations entre Pékin et Washington sont de plus en plus tendues avec, récemment, la destruction d’un ballon chinois supposé espion, cette interdiction est perçue comme un moyen de pression sur Pékin.
« Bannir TikTok est aussi un moyen de pression des Occidentaux dans le cadre d’une guerre plus globale qu’ils se livrent avec la Chine. Sur le plan économique, c’est une mesure de rétorsion. Car les serveurs informatiques des Occidentaux ne peuvent pas exercer en Chine, où le marché est très protectionniste », explique Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris à l’Ouest France.
Dans un contexte de guerre d’influence grandissante entre l’Occident et la Chine, les gouvernements et les entreprises technologiques doivent désormais trouver un équilibre entre le respect de la vie privée, la sécurité et la liberté d’expression.