AA / Tunis / Mounir Bennour
Malgré la crise rampante qui plombe des pans entiers de l’économie tunisienne, le jeune entrepreneuriat qui mise sur l’innovation arrive, contre vents et marées, à se développer, voire à créer une réelle valeur ajoutée et à s’imposer malgré le contexte politico-économique difficile.
Malgré un « miracle économique » qui s’essouffle, la Tunisie dispose des bases nécessaires à une économie compétitive et innovante. L’écosystème de start-ups (entrepreneurs, investisseurs, État, écoles, accélérateurs, incubateurs et pépinières) tunisiennes est l’un des plus prometteurs du continent africain, se classant juste derrière le « Big four » du continent : l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Kenya et le Nigéria, selon le site Wamda, spécialisé en technologies à forte croissance et start-ups technologiques.
** Petit écosystème, grand potentiel
La Tunisie a mis en place un écosystème développé – même si elle peut encore mieux faire – à grand renfort d’infrastructure, d’incubateurs, d’espaces de coworking, etc. Sur le plan juridique, le « Startup Act », entré en vigueur en 2018, se veut un cadre prolifique et propice au développement des entreprises innovantes dans plusieurs secteurs allant du RetailTech au gaming, en passant par la finTech, l’ArtTech, l’AgriTech, ou le Big Data, pour ne citer que ceux-là.
Dans ce cadre, la Tunisie vise l’objectif ambitieux de 1 000 entreprises pourvues du label « Startup Act », d’un milliard de dinars (322 millions de dollars US) de chiffre d’affaires cumulé des start-ups et la création de 10 000 emplois à l’horizon 2024.
Le ministère des Technologies de la communication avait annoncé l’attribution du 801e label vers la fin du mois de décembre 2022, avec une augmentation constante du nombre de labels accordés aux entreprises d’une année à l’autre, et ce, même durant la pandémie de coronavirus.
Si les augures sont bien prometteurs, et les atouts bien réels, la Tunisie a bien du chemin à faire, selon plusieurs observateurs. Le pays occupe actuellement le 45e rang mondial en termes de capital humain et recherche et se classe au 53e rang en matière de productions, de connaissances et de technologies, selon l’indice mondial de l’innovation (GII) de l’année 2022. La Tunisie compte aussi de bonnes structures scientifiques et techniques, de recherche et de développement en intelligence artificielle (IA), en robotique, en biotechnologie et en économie bleue, entre autres secteurs.
Selon le rapport Start-up Génome de l’année 2022, la Tunisie compte dans le top 10 des écosystèmes de start-ups de la zone MENA (Afrique du Nord et Moyent-Orient) et dispose d’excellents arguments pour lancer une start-up, grâce notamment à l’éducation à l’entrepreneuriat, qui “a rapidement progressé en Tunisie au cours de la dernière décennie et constitue désormais un élément important du programme d’études supérieures du pays, chaque université proposant un module couvrant l’entrepreneuriat et la culture entrepreneuriale“.
La même source fait également état d’une excellente situation géographique de la Tunisie “à la jonction du bassin oriental et occidental de la Méditerranée, ce qui en fait une plaque tournante régionale pour l’investissement, le commerce et la production. Partageant une frontière avec l’Algérie et la Libye, et à moins de trois heures de vol des capitales européennes et des grandes villes du Moyen-Orient, la Tunisie est au cœur de la chaîne logistique euro-méditerranéenne et offre une plate-forme idéale pour accéder à des marchés de 500 millions de consommateurs“.
** Vers un « Start-up Act » 2.0
Les rapports et les experts s’accordent sur la nécessité de remédier aux points faibles et les problèmes qui se posent face aux start-ups en Tunisie, à savoir, l’accès aux investissements, l’assouplissement de la circulation des fonds (en devise) et la simplification de la réglementation des changes.
La Tunisie doit se conformer aux mécanismes et aux processus standards au niveau mondial pour faciliter les investissements et améliorer les financements et les levées de fonds des entreprises dans le pays pour mieux faire face à la concurrence de pays tels que le Maroc ou l’Egypte où la législation et le climat entrepreneurial est beaucoup plus souple et performant.
Autre problème crucial, la rigidité proverbiale de la bureaucratie et la lenteur de son administration sont autant de facteurs décourageants et contreproductifs tant pour les entrepreneurs que pour les investisseurs (locaux ou étrangers). Un allègement des procédures administratives est nécessaire pour faciliter la création de start-ups et se ménager le parcours du combattant entre recherche de financements et paperasse bureaucratique qui fait perdre du temps, de l’énergie et l’essence même de l’entrepreneuriat dans les méandres kafkaïens de l’administration tunisienne.
En matière de capital humain et de capital risque, deux piliers majeurs d’un écosystème économique dynamique, la Tunisie se trouve être bien disposée en matière de compétence humaine, mais en même temps pénalisée par le manque de capital risque. Des entrepreneurs alertent cependant sur le fait que par bien des égards, le capital humain tunisien pourrait être menacé, notamment par la concurrence de marchés (notamment européens) plus attractifs financièrement. Il est nécessaire de retenir les compétences tunisiennes, qui sont les plus abordables financièrement. Une entreprise pourrait se permettre un ingénieur tunisien pour un salaire annuel net de moins de 9 000 dollars sur le marché tunisien (alors que la moyenne mondiale tourne autour de 45 000 dollars).
La Tunisie dispose, virtuellement, des moyens de devenir un hub des start-ups tant pour l’Afrique que pour l’Europe, encore faut-il surmonter les problèmes endémiques qui plombent l’économie du pays et pénalisent son potentiel.