Le chef de l’Etat tente de maintenir son agenda diplomatique chargé mais les multiples affrontements entre manifestants radicalisés et forces de l’ordre ces dernières semaines l’ont déjà obligé à annuler la visite d’Etat du roi Charles III d’Angleterre, un revers qui n’est pas passé inaperçu dans les cercles diplomatiques.
« C’est une chose très prestigieuse d’avoir la première visite du roi d’Angleterre. Ca n’arrive pas tous les jours. Si vous ne pouvez pas le faire, c’est un problème », a dit à Reuters un ambassadeur d’un pays européen.
« C’est clair que ça l’affaiblit », renchérit un autre diplomate européen. « On ne peut pas mesurer l’impact, mais quand même, il y en a un ».
La contestation contre la réforme des retraites, qui connaîtra une onzième journée de mobilisation nationale jeudi lorsqu’Emmanuel Macron sera en Chine, intervient à un moment où le chef de l’Etat cherche à reprendre l’initiative sur la guerre en Ukraine et à restaurer son leadership en Europe après les critiques formulées sur sa politique russe.
« Les manifestations comportent de nombreux risques et la France a besoin d’un coup de pouce diplomatique, d’autant plus qu’elle souhaite jouer le rôle de leader européen », observe Wang Yiwei, directeur du centre d’études européennes de l’université Renmin, en Chine.
Ligne rouge sur la Russie
En Chine, Emmanuel Macron souhaite adresser un avertissement clair à son homologue Xi Jinping, qui a été reçu en grandes pompes au Kremlin par Vladimir Poutine ce mois-ci : “l’Europe n’acceptera pas que Pékin fournisse des armes à Moscou pour une guerre menée sur le sol européen”.
« Notre message sera clair : il peut y avoir une tentation de se rapprocher de la Russie mais ne franchissez pas cette ligne », avertit un haut diplomate français.
Certains analystes estiment que la décision de la Russie de déployer en Biélorussie des armes nucléaires tactiques pourrait aussi être une opportunité pour la France d’inciter la Chine à se désolidariser de Moscou sur ce sujet, Pékin dénonçant depuis longtemps la prolifération nucléaire.
« La France est une puissance nucléaire, elle a cette carte à jouer », estime Antoine Bondaz, du groupe de réflexion français FRS et spécialiste de la Chine.
A Bruxelles, on doute toutefois du succès de l’objectif précédemment affiché d’Emmanuel Macron d’inciter la Chine à faire pression sur la Russie pour qu’elle mette fin au conflit.
« Quand on leur dit ça Bruxelles, il y en a beaucoup qui lèvent un peu les yeux au ciel », confie un diplomate basé dans la capitale belge.
Les diplomates français relativisent toutefois l’impact des manifestations en France sur la crédibilité d’Emmanuel Macron à l’international, faisant valoir que Xi Jinping à lui aussi dû affronter un mouvement inédit de protestations en fin d’année dernière lié aux restrictions sanitaires sur le COVID-19.
« Les Chinois joueront un rôle d’équilibriste. Ils ont besoin d’une bonne relation avec l’Europe donc ils ne voudront pas jouer sur les problèmes internes de Macron », estime un autre diplomate français.
Alors que les relations entre Washington et Pékin se sont considérablement dégradées depuis l’épisode du ballon espion chinois le mois dernier, l’Europe tente d’établir sa propre stratégie avec la Chine.
La Carte Européenne
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui accompagnera Emmanuel Macron à Pékin, a reconnu que les relations du bloc avec la Chine était devenues « plus distantes et plus difficiles » au cours des dernières années mais a appelé à poursuivre le dialogue et à « rééquilibrer » la relation.
Pour la diplomatie française, qui s’efforce d’inviter d’autres dirigeants européens à chaque rencontre avec la Chine pour montrer que l’union fait la force, la présence d’Ursula von der Leyen est aussi un moyen de se distinguer d’Olaf Scholz, qui avait décliné l’idée d’Emmanuel Macron d’une visite franco-allemande conjointe l’an dernier.
Les analystes estiment que la détérioration des relations entre la Chine et les Etats-Unis donnent à l’Europe plus de marges de manœuvre, avec un marché unique européen qui devient plus important encore pour Pékin.
Cela pourrait donner l’opportunité à Emmanuel Macron de mettre en pratique « l’autonomie stratégique » qu’il prône pour l’UE, tout en tirant profit de la réouverture de l’économie chinoise après des années de ralentissement lié à la pandémie.
« Macron peut faire passer le message que l’Europe veut s’engager avec la Chine, mais que ce sera difficile si la Chine continue sur la voie qu’elle suit actuellement avec la Russie », a déclaré Noah Barkin, analyste chez Rhodium Group.
Le président français devra aussi garder à l’esprit la tactique de Pékin consistant à diviser pour mieux régner, prévient un diplomate non occidental, suggérant que la Chine pourrait tenter d’instrumentaliser la visite d’Emmanuel Macron pour donner l’impression que la France s’éloigne des Etats-Unis.