Pour Statha Alexandropoulou-Karaïvaz, mariée durant 31 ans à ce journaliste abattu en pleine rue, à Athènes, le 9 avril 2021, le mauvais classement de la Grèce qui se retrouve cette année encore derrière la Hongrie ou la Pologne, est « révélateur de la détérioration de l’information ».
« Les scandales sont passés sous silence, on ne s’intéresse qu’à l’augmentation des prix », dénonce cette ancienne journaliste de 53 ans, aujourd’hui fonctionnaire, dans un entretien accordé à l’AFP.
Pour elle, l’assassinat de Giorgos (ou Georges) Karaïvaz, qui intervenait notamment sur la chaîne privée Star et tenait un blog, « montre que les journalistes sont en danger ».
Selon le classement 2023 de l’ONG Reporters sans Frontières (RSF) publié à moins de trois semaines des élections législatives, la Grèce occupe la 107e place sur 180, soit, pour la deuxième année consécutive, le plus mauvais classement d’un pays de l’Union européenne.
Violences policières
« Les professionnels des médias continuent d’être menacés par les violences policières et les attaques de groupes extrémistes », souligne RSF dans son rapport.
Mme Alexandropoulou-Karaïvaz déplore quant à elle « les lacunes de l’Etat de droit » et « le retard pris » dans l’enquête sur l’assassinat de son époux.
Spécialisé dans les affaires criminelles et de corruption, Giorgos Karaïvaz, 52 ans, a été tué en pleine journée devant son domicile alors qu’il rentrait chez lui.
Un homme cagoulé a tiré sur lui plus d’une dizaine de balles avant de prendre la fuite sur une moto, avec son complice.
Durant deux ans, l’enquête policière a semblé piétiner. Coup de théâtre vendredi dernier quand les autorités ont annoncé l’arrestation de deux hommes de 40 et 48 ans, soupçonnés d’être impliqués dans ce crime.
Statha Alexandropoulou-Karaïvaz est convaincue que l’assassinat de son époux est lié à ses enquêtes sur la corruption, « un milieu où officiers, politiciens, grands entrepreneurs et l’Eglise sont impliqués ».
« Certains voulaient le faire taire, c’est pourquoi ils l’ont assassiné », assure-t-elle d’un ton ferme sans donner plus de détails.
« Giorgos était en contact avec des policiers, des entrepreneurs, des politiciens et parfois même des prisonniers, tous ceux qui pouvaient lui servir de source »,explique-t-elle.
« Il n’hésitait pas à se disputer avec son employeur », se rappelle-t-elle évoquant des cas « où son reportage a été refusé par une télévision après une intervention gouvernementale ».
Mais elle « n’a jamais imaginé que son mari était menacé ».
Le meurtre de M. Karaïvaz avait suscité de vives réactions de la Commission européenne, des unions de journalistes et des ONG des droits humains.
Les arrestations de deux frères vendredi sont « une évolution positive », juge la veuve de M. Karaïvaz.
RSF a demandé « aux autorités grecques d’appréhender tous les auteurs, y compris le cerveau de l’assassinat ».
Pour l’organisation, « les critiques nationales et internationales devraient être prises très au sérieux par les autorités grecques » lorsqu’il s’agit de résoudre ce crime.
Surveillance
Pour expliquer cet inquiétant recul de la liberté de la presse, l’ONG pointe du doigt la mise sur écoute de journalistes, un scandale qui a aussi touché des hommes politiques et ébranlé le gouvernement conservateur l’an dernier.
Athènes a nié ces pratiques.
« La surveillance des journalistes grecs par le logiciel espion Predator et par les services secrets a récemment constitué l’atteinte la plus grave à la liberté de la presse dans un État membre de l’UE », selon RSF.
En Europe, le cas grec suscite l’inquiétude. En mars, une délégation de la commission des libertés civiles du Parlement européen (LIBE), en visite à Athènes, avait dénoncé les « très graves menaces sur l’État de droit et les droits fondamentaux » en Grèce.
Mais balayant les critiques, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis avait qualifié en novembre le classement annuel de RSF, qui fait office de référence dans le monde entier, de « merde » (« crap » en anglais).