AA / Istanbul / Burak Elmali*
(*L’auteur est chercheur au TRT World Research Center)
Le Président turc Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre suédois Ulf Kristersson et le Secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg ont convenu, à la veille du sommet de l’OTAN en Lituanie, de transmettre à la Grande Assemblée de Türkiye la demande d’adhésion de la Suède à l’alliance militaire.
Tout au long de ce processus fastidieux, de nombreux détracteurs guettaient l’occasion de dénigrer Ankara, dans l’espoir de clamer que la Türkiye n’est pas un partenaire fiable au sein de l’OTAN. En fin de compte, le président Erdogan a su montrer qu’Ankara reste un acteur engagé au sein de l’alliance, mais que les objectifs de politique étrangère de son pays doivent être pris en compte dans le processus.
Erdogan a une fois de plus fait la preuve de son habileté politique, en obtenant un résultat gagnant-gagnant extraordinaire qui profite à son pays, à l’alliance et à la Suède.
Le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine a représenté une fracture importante dans l’architecture du système sécuritaire européen, fracture inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette situation a conduit de nombreux acteurs, dont le président français Emmanuel Macron, à questionner le rôle de l’OTAN.
Pendant ce temps, de nombreux pays limitrophes de la Russie ont cherché à adhérer à l’alliance transatlantique. La Finlande a fait cause commune avec la Suède pour obtenir un siège au sein de l’OTAN, ce qu’elle a obtenu en avril.
** La Türkiye très sensible aux questions liées à la lutte contre le terrorisme
Les préoccupations de la Türkiye en matière de lutte contre le terrorisme ont toutefois bloqué le processus. Les pays nordiques, souvent perçus comme des refuges pour les terroristes liés au PKK/YPG et à l’organisation terroriste FETO, ont d’abord répondu du bout des lèvres aux demandes d’Ankara sans prendre de mesures adéquates. Les attentes de la Türkiye [1] sont que les alliés (ou futurs alliés) développent une confiance mutuelle et une position unie contre le terrorisme. Ces attentes sont considérées comme naturelles et raisonnables étant donné que l’OTAN est essentiellement une organisation de sécurité collective et que le terrorisme est l’un des principaux facteurs de menace au niveau mondial.
La Finlande a finalement rejoint l’OTAN lorsque la Türkiye a donné son aval à l’adhésion, en avril 2023. Stockholm, de son côté, a mené une stratégie ambiguë en autorisant les manifestations provocatrices des partisans du PKK/YPG dans les rues, ainsi que l’augmentation alarmante des incidents islamophobes tels que l’autodafé du Coran, le livre saint de l’Islam, sous le prétexte de la liberté d’expression. Stratégie qui n’a pas manqué de faire réagir Ankara.
Ce résultat positif revêt une grande importance pour la Suède, car il favorise les relations commerciales bilatérales avec la Türkiye, levant les sanctions qui pèsent sur les échanges commerciaux liés à l’industrie de la défense, de même qu’il apaise les inquiétudes de Stockholm en matière de sécurité; Tandis qu’Ankara bénéficie du soutien de Stockholm dans le cadre du processus d’adhésion de la Türkiye à l’Union européenne.
** La lutte contre le terrorisme : une priorité absolue
Plus important encore, ce processus a finalement permis de replacer la lutte contre le terrorisme au centre des préoccupations mondiales et de lui accorder l’attention qu’elle méritait depuis longtemps. Un incident survenu en France, au cours duquel 11 personnes ayant des liens avec le groupe terroriste PKK ont été traduites en justice, pour avoir amassé [2] 2 millions d’euros (2,24 millions de dollars) par le biais d’extorsions et les avoir acheminés vers l’organisation terroriste, met en lumière la gravité de la menace. Ces tactiques, couramment employées par les demandeurs d’asile « politique » dans les capitales européennes, font appel à l’intimidation et au chantage comme moyens d’action.
Ces plans de financement vont au-delà des tactiques d’extorsion, puisqu’ils s’inscrivent dans le cadre d’un réseau criminel organisé et sophistiqué [3] impliquant le blanchiment d’argent et le trafic de stupéfiants, qui rapporte des milliards de dollars.
L’Europe semble malheureusement avoir du mal à définir la position à adopter face à ces « demandeurs d’asile » autoproclamés qui servent de porte-voix et de financiers au terrorisme du PKK. Certaines mesures prometteuses ont été prises, comme la récente condamnation [4] par un tribunal suédois d’une personne affiliée au PKK à quatre ans et demi de prison pour financement du terrorisme.
Force est de s’interroger : Que se serait-il passé si la Türkiye n’avait pas adopté une position volontariste, exhortant la Suède à renforcer sa législation antiterroriste ? La réponse est simple : Toujours le même scénario, à savoir la poursuite de l’afflux de ressources vers les terroristes.
** Évolution des menaces dans un monde multipolaire
Dans le cadre de la candidature de la Suède à l’adhésion à l’OTAN, l’essentiel ne réside pas dans les acquis à court terme, mais dans l’union autour de principes inébranlables. Cette alliance, née pour dissuader l’expansionnisme soviétique, s’efforce aujourd’hui de trouver sa place dans un monde multipolaire, bien loin de l’ère binaire de la guerre froide.
De nouvelles menaces pèsent toujours sur la sécurité de l’Occident – la Chine, la Russie et même la combinaison du changement climatique avec notre sécurité – si bien que l’OTAN se retrouve sans cesse confrontée à des « pièges de Thucydide » (concept de relations internationales qui désigne une situation où une puissance dominante entre en guerre avec une puissance émergente).
Il importe au plus haut point cependant de renforcer l’esprit de l’alliance et de stimuler la confiance mutuelle qui sous-tend la cohésion. Il est vital d’appréhender les dimensions du terrorisme en tant que menace existentielle. L’alliance se doit donc de dépasser le soutien rhétorique et de traduire la détermination commune en action concrète. Ignorer la lutte contre le terrorisme dans un monde multipolaire ferait de l’Europe un refuge pour les terroristes et leurs sympathisants.
** Le succès de la Türkiye dans les scénarios gagnant-gagnant
Le sommet de l’OTAN de Vilnius, capitale de la Lituanie, a une fois de plus montré comment la politique étrangère turque élabore des scénarios gagnant-gagnant, au lieu de faire dérailler les progrès de ses alliés. Ankara a prouvé sa capacité à proposer des approches concrètes fondées sur des faits, en réduisant les zones d’ombre et en évitant les lacunes en matière de droit et de sécurité.
En introduisant une nouvelle dimension pertinente à la compréhension occidentale de la lutte contre le terrorisme axée sur les attaques terroristes du 11 septembre, en incluant des organisations terroristes telles que le PKK, le YPG et le FETO, la sécurité du monde s’en trouve renforcée et toutes les parties y trouvent finalement leur compte.
[1] https://researchcentre.trtworld.com/discussion-papers/turkiye-nato-relations-time-to-harmonise-perspectives-on-terrorism/ [2] https://www.voanews.com/a/french-court-convicts-11-turkish-kurds-of-pkk-terror-financing/7051348.html [3] https://www.dailysabah.com/politics/war-on-terror/pkk-uses-drug-trafficking-in-eu-to-fund-campaign-reports [4] https://www.bbc.com/news/world-europe-66119743**Les opinions exprimées dans cet article sont propres à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d’Anadolu.