Depuis plusieurs mois, des soupçons de détournement de dons défiscalisés en France pour financer l’achat de matériel militaire en Israël font surface.
Des associations “caritatives” françaises, bénéficiant de dispositifs fiscaux, sont accusées de rediriger une partie de ces dons vers des collectes destinées à l’armée israélienne, en pleine intensification de l’offensive israélienne au Moyen-Orient. Ainsi, le contribuable français participe-t-il, indirectement et à son insu, au financement de l’armée israélienne.
Le mécanisme de défiscalisation
En France, les dons à certaines associations d’intérêt général sont défiscalisables à hauteur de 66%. Cela signifie qu’un don de 100 euros permet au donateur de réduire ses impôts de 66 euros, ne déboursant ainsi que 34 euros de sa poche. Ce dispositif encourage la générosité publique envers des causes humanitaires, sociales ou culturelles.
Cependant, certains semblent détourner ce système pour financer des opérations plus controversées.
Selon une enquête du Média, l’association Tipat Mazal, créée en 2020 en Seine-Saint-Denis, qui a pour mission initiale de fournir des biens de première nécessité à des familles dans le besoin, se retrouve au cœur d’une manipulation à travers ce mécanisme de défiscalisation.
Son activité supposément “caritative” lui a permis d’obtenir l’éligibilité aux dons défiscalisés.
Mais depuis quelques mois, à la faveur de la guerre israélienne à Gaza, Tipat Mazal est suspectée de flécher des fonds vers des achats de matériel militaire pour les soldats israéliens, notamment des drones.
À la tête de ces opérations, un certain Johan, Franco-Israélien spécialisé en sécurité, mobilise la générosité communautaire pour équiper les soldats israéliens, en particulier les réservistes.
Dans une interview diffusée en mai 2024 sur une chaîne Youtube communautaire, il explique que les dons collectés par des associations françaises sont destinés à acheter des équipements pour des soldats.
Il admet même que ces dons sont illégaux en Israël, obligeant les donateurs à prétendre que ces fonds sont destinés à des civils pour contourner les lois douanières.
Grâce à des collectes en ligne sur des plateformes comme Allodon, Johan a récolté près de 25 000 euros en quelques jours pour fournir des drones thermiques et d’autres équipements à l’armée israélienne.
231 000 euros du contribuable français
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des soldats israéliens remerciant explicitement Johan et les donateurs français pour le matériel militaire qu’ils ont pu acquérir grâce aux collectes.
Plusieurs de ces vidéos ont depuis été supprimées après l’interpellation de Tipat Mazal sur ces agissements.
Les documents administratifs, notamment des certificats fiscaux (CERFA) délivrés aux donateurs, qui permettent de défiscaliser leurs dons, ne mentionnent rien de ces achats militaires, et justifient au contraire les dons comme étant destinés à des “familles démunies”, cachant ainsi leur véritable utilisation.
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Pourtant, sur des chaînes Telegram et d’autres réseaux, les collectes sont accompagnées d’appels explicites à soutenir les soldats israéliens en achetant du matériel militaire, dont des drones thermiques utilisés pour des opérations dans le Sud-Liban.
Les sommes en jeu sont importantes. Selon Le Média, 50 drones à 7 000 euros chacun ont été fournis à l’armée israélienne pour une somme totale de 350 000 euros. En y appliquant la défiscalisation de 66%, les contribuables français participent ainsi à hauteur de 231 000 euros.
Un vieille histoire
Le ministère des Finances et la préfecture de Seine-Saint-Denis, alertés sur cette situation, ne répondent pas aux sollicitations des journalistes.
L’année dernière déjà, certaines associations avaient été accusées de défiscaliser des dons destinés à soutenir des soldats israéliens, ce qui avait amené le ministère des Finances à affirmer que ces pratiques étaient illégales.
En 2016, la sénatrice Nathalie Goulet avait interpellé le secrétaire d’État au Budget de l’époque, sur l’existence d’une mesure fiscale permettant une exonération partielle d’impôt sur les dons destinés à l’armée israélienne.
Après avoir remis en cause cette niche fiscale en faveur de l’armée israélienne, elle avait été victime d’une série d’attaques et de menaces sur les réseaux sociaux.
Depuis, la sénatrice a non seulement rapidement abandonné son enquête, elle est même demeurée silencieuse sur le conflit israélo-palestinien, elle qui était pourtant très sensible au triste sort des Palestiniens.
Alors que le cadre légal impose une utilisation des dons pour des causes d’intérêt général, les dérives actuelles montrent que des associations parviennent à financer des actions militaires, en dépit des interdictions en vigueur.
Il semble ainsi qu’aucune mesure dissuasive claire n’a été prise pour éviter la répétition de telles pratiques.