Le port de Tyr, autrefois attraction touristique prisée, voyait ses cafés se remplir en été comme en hiver, attirant tous ceux qui souhaitaient apprécier le climat doux et le calme, loin du tumulte de la capitale historique du Sud-Liban. Mais aujourd’hui, Tyr est en partie détruite et presque déserte. Selon le maire de la ville, Hassan Dbouk, environ “90 % de sa population a déserté les lieux, mais environ 5 000 y sont encore, ainsi que 6 000 déplacés venus des villages alentours”, réfugiés dans un complexe scolaire, à la sortie sud de la ville.

Une communauté de pêcheurs résolue à rester

Parmi ceux qui restent, on trouve la communauté de pêcheurs déterminée. Ces hommes, restés avec leurs familles, s’efforcent de continuer à travailler pour subvenir à leurs besoins. Cependant, depuis le 7 octobre 2024, l’armée israélienne a ordonné l’évacuation du littoral libanais sur une zone de soixante kilomètres dans le sud du pays, interdisant de fait toute activité de pêche. Les ordres israéliens sont clairs ; aucun bateau ne doit sortir en mer au sud du fleuve Awali, situé à 40 km au sud de Beyrouth, aux environs de Saïda. Alors pour survivre, les pêcheurs tentent de trouver des solutions.

“Cela fait quarante jours que nous sommes ici sans travailler”, explique Ali Ghanem, pêcheur de longue date. “On passe le temps comme on peut… tout en espérant que la situation s’arrange.”, raconte Ali, assis sur le bord du port. À ses côtés, Khodr arrange son filet, une technique qu’il a appris de son père. Vivant ici depuis toujours, il ne compte pas quitter sa ville et s’adapte à une nouvelle technique de pêche. “Les Israéliens nous empêchent d’aller en mer, alors nous posons des filets de pêche sur la plage et vendons ce que les filets collectent, c’est notre activité maintenant”, explique Khodr, refusant de se laisser abattre par la guerre actuelle. “Nous, on aime la vie !” ajoute-t-il en éclatant de rire. “On est tous comme ça ici !”

Le port de Tyr est situé à la lisière du quartier chrétien de la ville, où trône une immense statue de la Vierge Marie, veillant sur les bateaux. “Ici, nous cohabitons, c’est unique au Liban”, soutient Khodr. La coexistence et la résilience libanaise ont toutefois été mises à mal ces dernières semaines, d’autant plus que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a demandé aux libanais de se soulever contre le Hezbollah, incitant à une guerre civile. Les nombreuses frappes ont également ciblé des lieux abritant des déplacés dans des villages non affiliés au groupe chiite, où se trouvaient parfois des cadres du Hezbollah, eux-mêmes déplacés. Malgré les tensions, le peuple libanais reste dans son immense majorité uni contre Israël dans cette guerre dont personne ne semble vouloir.

Les hommes autour de Khodr sourient, résolus à rester, et à préserver leur mode de vie, malgré la guerre qui fait rage, et les bombardements quotidiens sur la ville. “C’est bien pire qu’en 2006…”, soupire Ali, se souvenant de la dernière guerre avec Israël, en juillet 2006, qui avait duré 33 jours et fait 1 200 morts. Le bilan actuel est de plus de 3 100 morts, depuis le 8 octobre dernier et l’escalade de la violence depuis le 23 septembre, suivant l’attaque aux bipeurs et aux talkie walkies.

“Les Israéliens nous empêchent d’aller en mer, alors nous posons des filets de pêche sur la plage et vendons ce que les filets collectent, c’est notre activité maintenant”, explique Khodr
(Others)

« Avec ou sans maison, je ne veux pas partir »

“Tyr, c’est ma ville, pourquoi est-ce que je partirais ? Je n’ai aucune raison de m’en aller”, explique Fadoul, 43 ans, pêcheur lui aussi. Fadoul a vécu les différentes agressions israéliennes dans sa chair. “En 1982, lors de l’invasion israélienne pendant la guerre civile, j’ai perdu mon père et un de mes frères, tués dans une attaque, j’avais un an.” Aujourd’hui, sa maison a été détruite dans un bombardement il y a deux semaines. “Je n’ai peut-être plus de maison, mais malgré tout, je préfère rester ici. Avec ou sans maison, je ne veux pas partir.” Fadoul fait partie de cette génération de Libanais qui sont nés dans la guerre et ont continué à grandir sous la crainte des invasions israéliennes. Père de quatre enfants restés à Tyr, il exhibe fièrement leurs noms, tatoués sur son dos. Ali Ghanem, lui, a tenté de quitter Tyr pour se rendre à Tripoli dans le nord du pays, mais il a vite renoncé. “Cela ne sert à rien de quitter Tyr, personne ne nous nourrit là-bas, personne ne s’occupe de nos enfants. Nous n’avons aucun soutien de l’État, ni d’ONG. Parfois, tous les 15 jours, ils nous donnent une petite caisse de provisions pour nous aider à survivre”. Alors, malgré le danger, il préfère rester dans sa ville, espérant que les choses finissent par s’apaiser.

La ville de Tyr est aujourd’hui transformée en une ville en économie de guerre. Les chanteurs ambulants ont déserté les rues, les restaurants sont fermés, et l’électricité et l’eau sont devenues rares.

La Rest House, un hôtel en bord de mer habituellement réservé à une clientèle aisée, accueille désormais quelques journalistes couvrant les événements en direct.

Toutefois, la communication est verrouillée, et il est impossible pour les journalistes de se déplacer seuls dans la ville. “Nous vous protégeons, les habitants sont très tendus en ce moment, et à cause de la situation, les caméras ne sont pas appréciées”, explique l’un des coordinateurs du Hezbollah. L’inquiétude au Liban concerne les informateurs, qui se sont révélés très efficaces, notamment pour les frappes ciblées contre des cadres du parti.Pour les habitants de Tyr, la vie continue dans une fausse normalité, marquée par la rareté croissante des biens de première nécessité et la crainte d’une guerre qui s’annonce longue.

TRT Francais