Les pays d’Afrique francophone tentent de reprendre la main dans la lutte contre le terrorisme au Sahel au moment où la présence de la France est remise en question, quitte à solliciter les services du groupe paramilitaire russe Wagner.
Le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a indiqué mardi que la situation en Afrique est particulièrement préoccupante face à la menace du terrorisme, soulignant le soutien de l’ONU aux pays qui s’efforcent de mettre fin a ce fléau.
Pour M. Alseny Thiam, chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, les pays africains tentent de mettre en place des stratégies pour endiguer la menace, mais les difficultés économiques et sociales rendent cette lutte asymétrique.
“Il faudrait donc soutenir ces pays sur le plan économique et social pour renforcer leur stabilité politique et ainsi mieux les aider dans leur lutte contre le terrorisme », précise le spécialiste.
Comment les pays d’Afrique francophone organisent-ils la lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel ?
Chaque pays africain essaie d’avoir une forme de stratégie. On a pu le voir ces derniers temps avec le Burkina Faso qui est un pays très enclavé et connaissant de nombreuses difficultés.
Aujourd’hui, on évoque près de 2000 morts du fait du terrorisme ces deux dernières années. On parle souvent de la zone des trois frontières entre le Burkina, le Mali et le Niger qui est presque ingérable.
Au Mali, quand la France de François Hollande est intervenue, elle l’a fait pour libérer le Mali, car les groupes terroristes avaient failli prendre Bamako. La France a depuis connu une fin d’intervention en forme d’échec, car la lutte contre le terrorisme est très problématique et aléatoire.
Et surtout, c’est une lutte asymétrique, parce que les groupes rebelles essaient de combattre des armées conventionnelles qu’ils n’attaquent pas de front, car ils seraient assurés d’être immédiatement laminés. Ils essaient d’attaquer différemment en engageant de petites embuscades, ce qui a compliqué la vie des soldats Français qui ont du mal à lutter contre ces groupes parfois affiliés à d’autres groupes ethniques dans la population.
En plus de la lutte militaire, il y a des problèmes sociaux majeurs dans ces pays qui expliquent pourquoi certains intègrent ces groupes terroristes. La France n’a pas réussi à avoir un retentissement suffisant, c’est la raison pour laquelle il y a une forme de défiance des populations africaines aujourd’hui envers la France.
Aujourd’hui, chaque pays tente de jouer un rôle dans la lutte contre le terrorisme avec les moyens du bord. Il faudrait, me semble-t-il, essayer d’appuyer ces pays socialement et économiquement afin qu’ils soient plus stables politiquement. Ainsi, ils pour- ront militairement avoir un rôle encore plus influent.
La France est en difficulté, notamment au Mali et au Burkina Faso. Est-ce que du point de vue africain, elle a encore quelque chose à offrir dans le cadre de la lutte contre le terrorisme?
Je pense que la France connaît un échec aujourd’hui, car, au-delà de la dimension militaire, sa diplomatie est très verticale, pas assez horizontale et très loin du terrain. Force est de constater qu’elle ne joue pas un rôle de diplomatie de terrain comme le font la Corée ou la Turquie, des pays qui deviennent de plus en plus influents dans ces pays d’Afrique francophones.
Sur le terrain, il y a une vraie rupture entre les français présents en Afrique (militaires et diplomates) et les peuples africains en général. Il n’y a pas cette proximité que l’on retrouve dans le Commonwealth des pays anglo-saxons, ce qui crée une forme de culture commune.
En France, on fait des politiques d’aide sans tenir compte de leurs répercussions sur les Africains et pas davantage de leur avis. De ce fait, il y a une vraie rupture quant à la qualité du regard africain porté sur la France.
Aussi, se doit-elle de renouveler sa géopolitique et sa diplomatie afin de créer une relation plus horizontale avec les pays africains. Je pense que les Français en ont les moyens humains et intellectuels, mais le changement doit être rapide. Les choses évoluent de manière spectaculaire sur le terrain : Qui aurait pu songer que l’ambassade française au Burkina Faso serait un jour attaquée de la sorte ?
Le groupe paramilitaire russe Wagner est accusé par les Occidentaux, dont la France, d’ingérence, de pillage, voire de terrorisme. Quel regard les gouvernements africains ont-ils de ce groupe et pourquoi le sollicite-t-il ?
Il faut rappeler que dans de nombreux pays africains notamment au Sahel, la moitié de la population vit avec moins de 1 $ par jour. Aussi, il faut associer les questions sociales aux questions sécuritaires.
La région du Sahel connaît des difficultés comme la sous-alimentation et des problèmes de terrorisme. Après l’échec de la France, le fait de voir d’autres groupes venir (comme Wagner ou autres) essayer de trouver des solutions devient une alternative pour les pays africains francophones.
Il y a hélas très peu d’alternatives Après les événements du Mali, au Burkina Faso dans lesquels le terrorisme a fait de nombreuses victimes, les pays africains francophones sont séduits par toute alternative crédible permettant de réduire le fléau du terrorisme. Je pense que s’ils se tournent vers Wagner, c’est parce qu’ils n’ont pas d’alternative. Ne perdons jamais de vue la situation catastrophique dans le Sahel !
Donc, sans vouloir juger Wagner et son idéologie, il faudrait offrir d’autres alternatives en poussant tous les pays puissants et volontaires à s’impliquer davantage dans le Sahel, en respectant les populations et les gouvernements africains, car il y a une urgence sécuritaire, économique et sociale !