Au-delà des idées reçues en Afrique, la conquête de l’espace s’impose désormais comme « un impératif et une opportunité ». A partir de l’exploitation des données recueillies dans l’espace, les pays africains sont à même de trouver des solutions adéquates à leurs problèmes de développement et d’améliorer les conditions de vie des populations. Le cas de l’agriculture moderne en est une illustration.
Amélioration des rendements agricoles
L’agriculture demeure la principale source de devises et d’emploi du continent. Cependant, les rendements laissent à désirer, du fait des maladies. Le suivi en temps réel des plantes grâce aux données satellitaires, combiné aux données recueillies par des capteurs au sol et à l’observation des drones permet d’identifier les zones des plantations atteintes par des maladies ou des carences d’eau et d’apporter rapidement des soins appropriés.
Objectif: l’amélioration des rendements agricoles. En Côte d’Ivoire par exemple, des start-up comme WeFly Agri ou Investiv explorent déjà « l’agriculture de précision », secteur porteur qui participe de la sécurité alimentaire, comme la lutte contre les criquets.
Lutter contre les invasions de criquets
Grâce à l’exploitation des ressources des données satellitaires entre autres, John Oroko, un entrepreneur kenyan a mis au point Kuzi, une application qui prévient de l’invasion des essaims de criquets pèlerins.
Des locustes, sont capables d’engloutir en un temps record des tonnes de récoltes et d’anéantir des milliers d’hectares. De quoi entretenir le spectre de la famine dans toute l’Afrique de l’est, une région menacée par l’insécurité alimentaire.
« L’application gratuite utilise les données satellitaires et des capteurs du sol, les observations météo sur le terrain et l’apprentissage automatique pour prédire la reproduction, la fréquence et les routes de migration des criquets pèlerins », relève Africa défense magazine.
La publication précise que l’application Kuzi produit un indice de reproduction des locustes en temps réel et une carte thermique en direct des locustes dans la région avec leurs routes potentielles de migration.
Développer l’élevage
Par ces temps de réchauffement climatique, l’élevage est fortement impacté dans plusieurs régions d’Afrique. La rareté de l’eau et du fourrage commandent de nouvelles méthodes. A Madagascar, un pays réputé pour l’élevage des bovins, des chercheurs ont exploité les données satellitaires pour promouvoir l’élevage. Ils ont mis au point un logiciel (3 C Biovis) pour déterminer la disponibilité du fourrage (en qualité et en quantité) grâce aux données satellitaires, à la télédétection et à l’intelligence artificielle.
Au Mali, un système presque similaire existe. Grâce à l’exploitation des données fournies par les satellites, Garbal qui est un service téléphonique inauguré en 2017, permet aux éleveurs de trouver facilement de l’eau. Une denrée rare dans cette région désertique.
Visiblement, la nécessité d’utiliser les satellites embrasse tous les secteurs. Même la préservation de l’environnement.
Préservation de l’environnement
Au Kenya, les images satellitaires de l’agence spatiale sont utilisées pour suivre le mouvement des animaux sauvages afin de les préserver du braconnage dans les réserves de faune.
Le Gabon de son côté mise sur les données satellitaires du SNONRF (Système national d’observation des ressources naturelles et des forêts) pour surveiller en temps réel l’exploitation de la forêt notamment.
Il en est de même de l’identification et de l’évaluation des ressources halieutiques.
Concernant la lutte contre les inondations, le chercheur congolais Benjamin Kitambo a réussi à partir des observations satellitaires à étudier les caractéristiques de l’hydrographie du bassin du fleuve Congo.
Résultat: il est désormais facile de prévenir les inondations, de repérer les zones navigables; mieux évaluer la faisabilité du transfert des eaux de ce bassin vers le Lac Tchad menacé d’assèchement du fait du dérèglement climatique. Une potentielle menace à la paix et à la sécurité.
Préserver la sécurité
Pas de développement sans paix et stabilité.
Dans un contexte troublé par des insurrections terroristes dans le Sahel, autour du lac Tchad, et dans le nord du Mozambique notamment, le désordre dans l’est de la RDC, les satellites peuvent permettre de fournir une information stratégique permettant de mieux combattre ces insurgés et ramener la paix.
Pour Tidiane Ouattara, le responsable du programme spatial africain répondant à nos confrères du quotidien ivoirien le Patriote à propos des terroristes : (…) Tu ne peux pas les traquer avec les méthodes traditionnelles. Il faut des outils spatiaux et donc les satellites sont là pour ça. Et les satellites permettent d’avoir des informations sur le mouvement des objets, des êtres humains et des phénomènes. »
C’est dans cette logique que l’armée nigériane utilise des images de l’agence spatiale du pays pour traquer les terroristes de Boko Haram dans le nord-est ou encore les rebelles qui sabotent régulièrement les oléoducs dans le Delta du Niger, dans le sud- est du pays.
Du reste, les autorités nigériennes confrontées également aux insurgés de Boko Haram, misent aussi sur la surveillance satellitaire pour assurer la sécurité des 1980 kilomètres de Pipeline pétrolier entre le Niger (Agadem) et le Bénin ( Sèmè).
Favoriser l’exploration pétrolière
Les informations des satellites confèrent un avantage stratégique dans l’exploration pétrolière par exemple. Les grandes multinationales sont en mesure d’identifier virtuellement des gisements de pétrole, nous explique le nigerien Mahaman Laouan Gaya, expert international en énergie et pétrole, ancien Secrétaire général de l’Organisation des producteurs de Pétrole Africains (APPO).
« Aujourd’hui, les plus grandes compagnies des puissances pétrolières disposent de laboratoires équipés d’énormes simulateurs ultramodernes leur permettant d’explorer virtuellement les entrailles de la terre, note-t- il. À partir de ces laboratoires (situés dans des lieux ultra protégés de leurs pays), leurs ingénieurs plongent dans un monde souterrain d’ordinaire invisible, naviguant à travers des couches de grès et de calcaire jusqu’à tomber sur des formations rocheuses contenant des hydrocarbures.
Ils peuvent ainsi directement à partir de Houston, Paris ou Beijing ‘’dépister‘’ des formations pétrolifères en Afrique, ou ailleurs dans le monde. Ce type de procédés ultra sophistiqués leur confère un énorme gain de productivité, d’informations et de connaissance de notre sous-sol. C’est grâce donc à ces technologies, qu’ont été révélées les énormes potentialités en ressources extractives stratégiques de cette zone dite des ‘’Trois frontières‘’ dans le Sahel et les provinces Nord-Est de la République Démocratique du Congo, toutes deux en proie à d’interminables conflits armés. »
De toute évidence les satellites sont une nécessité pour le développement de l’Afrique. Les dirigeants en ont-ils conscience ? Quel est l’état de l’industrie spatiale sur le continent ?
Prise de conscience des dirigeants
Pour le journaliste camerounais Beaugas Orain Djouyum, directeur de Digital Business Africa, spécialisé dans les télécommunications en Afrique, les dirigeants africains prennent déjà conscience de l’importance du satellite pour le développement.
« On constate un réel engouement des États africains à consacrer des ressources budgétaires pour le développement de leur programme spatial, explique-t-il. En 2019, les États africains consacraient globalement 290 millions USD pour le développement de leur programme spatial. En 2022, on est passé à près de 535 millions USD.
C’est dire qu’il y a un réel engouement. En 2018, un seul État africain (l’Égypte) avait un satellite dans l’espace. En 2022, 14 États africains ont déployé une cinquantaine de satellites dans l’espace. (1) Cela est d’autant plus intéressant que d’après des études spécialisées, le marché africain vaut près de 20 milliards USD, d’après les chiffres d’Africa Space.
Mieux, l’Union africaine s’est même emparée de la question du développement d’une industrie spatiale sur le continent. Elle a mis sur pied le 29 janvier 2018 à Addis-Abeba, une agence spatiale africaine. Son siège est au Caire.
D’après ses statuts, cet organisme vise à: « promouvoir et à coordonner la politique et la stratégie spatiale africaines, entreprendre des activités qui exploitent les technologies et les applications spatiales pour le développement durable et l’amélioration du bien-être des citoyens africains. »
La mutualisation des moyens apparaît en filigrane comme un impératif d’autant plus qu’aucun pays africain ne dispose à lui seul de moyens financiers et humains suffisants pour mener à bien un programme spatial d’envergure.
C’est dire que dans un premier temps, il faudra des ressources humaines suffisantes en qualité et en quantité. Cela devrait être le premier chantier prioritaire de l’agence spatiale africaine que l’ingénieur burkinabé Sékou Ouedraogo – spécialiste en aérospatiale – appelait déjà de tous ses vœux en 2015 dans son ouvrage : » L’agence spatiale africaine, vecteur de développement « .
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14 pays africains ont déjà lancé un satellite dans l’espace : l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, le Soudan, le Kenya, l’Éthiopie, l’Angola, le Rwanda, l’Ouganda, le Ghana, le Zimbabwe.