Entretien avec Maxence Cordiez, spécialiste des questions énergétiques. Il a été adjoint au conseiller nucléaire à l’ambassade de France à Londres. Il est l’auteur du livre “Energies” aux éditions Tana, 2022.
Au moment où on parle du réchauffement climatique, selon vous, pour quelles raisons, dans le monde et en Europe, est-on attaché au pétrole, au gaz et au charbon ?
Vous avez tout à fait raison, les combustibles fossiles, pétrole, gaz et charbon, constituent 80 % de l’énergie utilisée dans le monde. Et c’est à peu près la même chose en Europe. Même en France, où on parle beaucoup du nucléaire, 60 % de l’énergie utilisée, ce sont encore des combustibles fossiles, 40 % pour le pétrole, 20% pour le gaz.
En fait, cela vient des propriétés intrinsèques de ces combustibles qui sont extrêmement faciles d’accès. Ils ont une fonction de stock intégrée, c’est-à-dire, quand vous avez un kilo de charbon ou un litre de pétrole, vous pouvez le garder une semaine, un mois et l’utiliser quand vous le voulez.
Contrairement à d’autres sources d’énergie ou vecteurs énergétiques qui n’ont pas ces propriétés-là, l’électricité, par exemple, est très difficile à stocker. Donc quand vous produisez de l’électricité, il vous faut la consommer en même temps. Et en plus, certains moyens de production d’électricité dépendent de la météo, ce qui les rend plus difficiles à utiliser.
Ensuite, le pétrole est particulièrement adapté aux transports, il constitue à peu près 95 % de l’énergie utilisée dans les transports. Parce que c’est dense énergétiquement, c’est stockable. Si vous prenez un avion, par exemple, les réservoirs emportent du kérosène. Une fois que le kérosène est brûlé, il ne pèse plus dans le réservoir. Donc en fait, ce sont toutes ces propriétés qui font que les combustibles fossiles occupent une telle place dans notre bouquet énergétique.
Dans votre ouvrage, vous avez parlé de plusieurs leviers qui pourraient être activés pour que les énergies bas carbone puissent fournir les mêmes services que les énergies fossiles. Quels sont-ils ?
Elles ne pourront pas fournir exactement les mêmes services que les énergies fossiles. En fait, ça revient à la question précédente si on utilise des combustibles fossiles, ce n’est pas qu’on est complètement vicieux. En fait, c’est parce qu’ils ont un avantage ils fournissent un haut niveau de service pour un faible coût, ce qui permet de faire tout un tas de choses.
En fait, les alternatives aux combustibles fossiles sont moins pratiques, moins faciles à utiliser. L’éolien et le solaire produisent en fonction de la météo et de la saison. Et l’électricité en général, même si on prend le nucléaire, comme je le disais tout à l’heure, est difficilement stockable, pas facilement adapté par exemple au transport.
Donc en fait, déjà, il va falloir développer toutes les énergies alternatives aux combustibles fossiles sans en éliminer, parce que plus on en éliminera, plus l’équation sera difficile à résoudre.
Donc quand je dis toutes les énergies, c’est évidemment nucléaire, solaire, éolien, mais aussi toutes les énergies carbones dont on parle moins comme le biogaz, la géothermie, le solaire thermique, etc. Mais c’est aussi faire des économies d’énergie. Et là, quand on parle d’économie d’énergie, il y a deux moyens de faire des économies: l’efficacité et la sobriété.
Finalement, pour réussir à boucler l’équation et se passer des combustibles fossiles, il va falloir jouer sur ces trois tableaux l’efficacité, la sobriété et développer toutes les énergies alternatives.
Dans votre ouvrage, vous revenez sur les actions que tout citoyen peut mener à son échelle en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Pouvez-vous nous en donner quelques-unes ?
En fait, si on regarde les émissions d’un Français, la moitié concerne les produits importés. C’est à dire que l’essentiel des choses qu’on utilise ne sont pas produites en France, par exemple, la caméra qui nous filme n’a probablement pas été produite en France mais en Asie.
L’un des enjeux est de moins consommer et de faire durer les produits (garder son smartphone plus longtemps). Ensuite, si on regarde les émissions sur le territoire français, le premier poste est celui des transports (avion, voiture, etc.), il faut donc éviter de prendre l’avion, privilégier quand c’est possible les transports en commun, les marches à pied, le vélo et essayer de covoiturer.
Le chauffage des bâtiments (essayer de sortir du fioul et du gaz, se chauffer à 19 degrés) et l’agriculture (alimentation en viande) représentent d’autres enjeux. Donc voilà, en fait, si on veut réduire notre empreinte carbone, ce sont les principaux leviers sur lesquels on peut jouer.