L’avenue Bugeaud dans le XVIème n’est plus, elle est rebaptisée avenue Hubert-Germain. Les taxis et les riverains vont devoir mettre à jour leurs adresses et leurs GPS. C’est le cinquième lieu que la ville de Paris renomme, pour effacer des noms étroitement liés à la colonisation ou à l’esclavage.
Le général Bugeaud est en effet associé à la colonisation de l’Algérie. Gouverneur général de ce territoire de 1830 à 1840, le maréchal Thomas Robert Bugeaud est chargé de le “pacifier”. Son nom est associé aux “enfumades” qui ont causé la mort de nombreux civils. Face à la résistance des Algériens, il signe le traité de Tafna avec l’émir Abd el-Kader le 30 mai 1837 qui reconnaît aux Français la possession d’Alger et d’Oran.
Hubert-Germain, lui, est un résistant qui a dès 1940 rejoint le général de Gaulle à Londres, puis a combattu en Egypte, Lybie et a participé au débarquement de Provence.
La Ville de Paris continue ainsi un processus engagé en 2001.
La décision a été prise le 11 juillet dernier par le Conseil de Paris, mais n’avait pas fait l’unanimité. “Qu’on vienne dénoncer [le colonialisme] aujourd’hui, oui. Le gommer complètement, c’est absurde et n’aidera personne”, avait plaidé l’élu Les Républicains Francis Szpiner.
Ainsi en 2013, le collège Vincent-d’Indy, du nom de ce compositeur aux positions antisémites, est renommé collège Germaine-Tillion. Ou encore, en 2002, Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, avait débaptisé la rue Richepance. Le général Antoine Richepance avait été envoyé par Napoléon en 1802 pour rétablir l’esclavage par la force en Guadeloupe. La rue est alors devenue “rue chevalier de Saint-George”, compositeur, escrimeur et musicien français né esclave en Guadeloupe.
En 2021, Pascal Blanchard, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique, spécialiste du « fait colonial » et des immigrations en France, a, avec un comité scientifique, établi une liste de 318 noms de personnalités françaises de l’Outre-Mer ou de l’immigration. Ce recueil a été mis à disposition des maires de France pour renommer leurs rues et établissements publics, puisque ce sont les élus municipaux qui choisissent de baptiser les piscines, les stades ou les rues.
“Je suis contre la disparition de ces noms qui posent problème”
L’historien était sans illusion. A l’époque, il disait lors d’une interview sur France Inter : “Ces personnalités issues de l’immigration et d’Outre-Mer sont absentes de nos rues et les afficher sur une plaque de rue ne va pas régler le problème des discriminations et du racisme”.
Il poursuivait malgré tout sur l’importance de la reconnaissance en introduisant des noms de la diversité. ”La reconnaissance, c’est à la fois quelque chose qui ne sert à rien mais qui est fondamental. Cela va faire qu’un jour, un jeune va aller à sa piscine municipale, ou passer dans une rue et voir qu’il y a des gens qui racontent une histoire plus ouverte, plus valorisée. Et ça c’est important pour se sentir plus légitime sur ce territoire. C’est comme cela que vous vous sentez chez vous, dans un pays qui vous ressemble et les autres vont se dire : mais il y avait un grand résistant noir !”
L’historien s’est, malgré tout, toujours dit contre l’effacement et la disparition de ces noms qui posent problème. Selon lui, ils doivent servir d’espace pédagogique, ils doivent servir à expliquer l’histoire de France. La plaque de rue du maréchal Bugeaud aurait donc pu indiquer : “Il a réprimé les révolutionnaires de 1848 à Paris, tout comme les Algériens qui résistaient à la colonisation”.
Les anciennes plaques au nom du maréchal Bugeaud seront conservées au musée Carnavalet, qui retrace l’histoire de la capitale.